Sculpteur français né en 1964 à Senlis, Étienne Jacobée vit et travaille à Chantilly dans son atelier au cœur de la ville.

Il présente son travail lors d’expositions personnelles (Potager des Princes à Chantilly depuis 2017, L’Art dans les Chapelles à Saint-Jean de Guern en 2003, Centre d’art contemporain à Montreuil en 1997 avec publication d’une monographie écrite par Gérard-Georges Lemaire…) ou collectives (Parc du Musée de Tessé au Mans en 2017, Orangerie de Sénat à Paris en 2000, à Bangui, Centrafrique et à Douala, Cameroun en 2000…)

Les Villes de Chantilly en 2016 et de Creil en 2020 ont chacune fait l’acquisition d’une œuvre d’Etienne Jacobée.

Une sculpture est installée depuis septembre 2021 devant la façade du FIAA, nouveau centre d’art actuel au Mans.

Photographe, cinéaste et auteur, directeur du département cinéma de la galerie Maeght entre 1970 et 1975, Clovis Prévost réalise en 2020 le film « Etienne Jacobée, sculpteur » tourné à l’atelier de Chantilly.

Emmanuel Daydé, historien d’art, critique dramatique et musical, journaliste et commissaire d’expositions, organisateur de Nuit Blanche à Paris, commissaire à la Biennale de Venise des Pavillons du Liban en 2017 et de Madagascar en 2019, suit le travail d’Etienne Jacobée depuis 1993.

Il est l’auteur de plusieurs articles sur l’art iranien pour la revue Art Absolument et nous fait aujourd’hui le plaisir d’écrire autour du travail d’Etienne Jacobée et de sa sculpture-trophée, Grand Prix du Jury pour le Festival du cinéma iranien 2021.

www.etienne-jacobee.com

Le Jacobée, un trophée pour le cinéma iranien

Par Emmanuel Daydé (historien de l’art, critique musical et dramatique, journaliste et curateur français).

En Iran, on aime tant le cinéma qu’on finit parfois par s’identifier à lui. En 1989, Hossein Sabzian, un ouvrier-imprimeur au chômage, est arrêté après s’être fait passer pour le célèbre cinéaste MohsenMakhmalbafen s’immisçant au sein d’une famille trop crédule. Aux policiers qui l’interrogent sur la raison de sa curieuse escroquerie, Sabzian répond : « l’amour du cinéma m’a aveuglé ». Cet amour pourrait au contraire avoir ouvert les yeux de l’Iran moderne (ce que pensera d’ailleurs Abbas Kiarostami, qui consacrera un film, Close-up, à cette étrange affaire). Dès le XIXesiècle, Nasserreddine Chah se rend à Paris afin de « constater personnellement les moyens bénéfiques utilisés par les gouvernements pour assurer le bien-être de leurs peuples ». Pris de passion pour la photographie, le souverain Qadjar demande au français Jules Richard de l’initieraux étranges appareils offerts par la reine Victoria, et crée en 1862 à Téhéran l’atelier royal de photographie. En 1900, Mozaffareddine Chahramène à son tour d’Europe une caméra Gaumont, qu’il confie à Mirza Ebrahim Khan Akasbashi, lui demandant de tourner un film sur la fête des fleurs à Ostende.MohsenMakhmalbafà son tour n’hésitera pas à faire d’Akasbashi le héros de son film Nasserreddine Chah, acteur de cinéma, où il proclame que « le cinématographe éduque l’homme ». D’art de cour, le cinéma iranien se transforme en art de masse à la fin du muet, avec une majorité de films tournés en Inde. Le Cinéma Motefavet, un « cinéma différent » né avec La Vache de DariushMehrjui, se met en place dans les années 1960, révélant au passage une Nouvelle vague iranienne, qui veut rompre avec le cinéma commercial. Malgré le maintien et le renforcement de la censure, c’est la Révolution de 1979 qui donneun essor inattendu à une toute nouvelle production : à pays neuf, cinéma neuf. Avec leurs préoccupations sur l’enfance, leurs errances obsessionnelles en voiture sur des routes éloignées et leur revendication d’une narrationqui met en abyme le documentaire dans la fiction, les réalisateurs Abbas Kiarostami et MohsenMakhmalbaf triomphent dans l’Iran post-révolutionnaire. Dans les années 2000, Jafar Panahi donne un tour plus social à ce cinémapoésie-vérité avec Le Cercle puis avec son faux documentaire Taxi Téhéran, ce qu’accusera encore Une Séparation d’AsgharFarhadi en 2011, avec l’irruption de revendications féminines. Cinéma du réel qui interroge l’utopie et dont le succès mondial ne se dément pas, les films iraniensont engagé une seconde révolution intellectuelle au XXIe siècle. Alorsque près de cent films et deux mille court-métrages sont tournés tous les ans, J.M.G. Le Clézio est en droit de poser la question : « le cinéma aujourd’hui est-il iranien ? »

Que ce soit Le Clézio, prix Nobel de littérature de langue française, qui s’exprime ainsi n’est pas anodin. En 2018, en même temps que le prêt au Musée national d’Iran de cinquante chefs-d’œuvre du Musée du Louvre qui faisaient courir les foules, on reconnaissait dans les sphères politiques iraniennes que si « beaucoup de pays s’intéressent à notre pétrole,la France est la seule à s’intéresser à notre héritage culturel ». Aussi est-ce tout naturellement que les villes d’art et d’histoire de Chantilly et de Senlis se sont rapprochées pour créer en 2021, après presque une année de fermeture des salles obscures pour raison de pandémie, le premier Festival du Cinéma Iranien de Chantilly. Constitué de sept premiers longs métrages, sélectionnés parmi quarante-six autres, ainsi que de sept courts-métrages hors-compétition, l’IFF-Chantilly raconte pendant toute une semaine de novembre un village où personne ne meurt, un prisonnier qui n’a plus que cinq jours à vivre, les ravages de la guerre Iran-Irak et des zones frontalières où l’on doit survivre dans un bus déclassé ou dans un bateau échoué…Dans un pays où l’on pense en images, il fallait toutefois donner une forme au trophée qui récompense le lauréat du Festival. Cantilien enraciné depuis plusieurs générations à Chantilly, Etienne Jacobée était le sculpteur désigné pour pareil sacre. Dans la lignée du réalisme poétique isarien, celui des paysages vides, à contre-jour,de Charles-François Daubigny et des hésitations meurtrières de L’amante anglaise de Marguerite Duras – mais aussi des obsessions qui dévorent la réalité persane chères à Sadegh Hedayat -, Jacobée éprouve ce « même sentiment de la grandeur des êtres, du poids de l’homme sur la terre, de la beauté des formes solides, départagées par une lumière et par une ombre de statuaire » (Focillon).Se livrant à l’artisanat furieux du forgeron, le sculpteur des eaux et forêts de l’Oise paraît tendre la main aux artistes d’Elam, lointain ancêtre de l’Iran actuel, il y a quatre mille ans. Au XIIIe siècle avant notre ère, tandis que l’éclat de Babylone se ternit, le roi Untash-Napirisha restaure la grandeur disparue de l’Elam en fondant une nouvelle ville non loin de Suse, dans la province actuelle du Khouzistan. Consacré au dieu et juge des morts Inshushinak (« Seigneur de Suse »), le temple central était alors formé d’une tour à étages de cinquante-deux mètres de haut, en quatre volumes reliés par un escalier vertical, qui abritait la salle sacrée proprement dite dans un carré cubique au dernier étage. Le Louvre conserve une statue élamite grandeur nature, en bronze et en étain, de la reine Napirasu, l’épouse du roi Untash-Napirisha, vêtue d’une robe à manches courtes recouverte de broderies, qui appelle à la malédiction divine contre quiconque oserait profaner son effigie. Epris d’art et de justice, les princes élamites, qui pilleront Babylone au siècle suivant, en profiteront pour rapporter chez eux quelques chefs-d’œuvres mésopotamiens, dont plusieurs exemplaires du fameux code d’Hammourabi en basalte noir…

Plongeant dans le passé le plus obscur pour mieux révéler la lumière de l’avenir, Etienne Jacobée reprend pour son trophée cinématographique les principes structurels du premier art iranien, en s’inspirant à la fois de leur ziggourat ascensionnelle, des stèles de justice noires et de cette statue-tour métallique de princesse en forme de robe évasée. Issu de la série des Huttes, pièces en ogive posées sur trois pointes, le trophée Jacobée suspend en équilibre un biface, taillé de manière préhistorique mais qui symbolise la vie avec sa forme de graine prête à germer.À propos de ses Huttes, le sculpteur avoue :« Je les vois abandonnées, oubliées au milieu de nulle part, révélant leur caractère par les intempéries, marquées par le froid, le vent et le soleil, rongées doucement par l’oxydation et recouvertes de lichen ».Cemême temps qui rongeest à l’œuvre dans le cinéma iranien. Partagé entre le goût de la cerise qui enlève le goût de la mort et celui des oliviers qui fait trembler la terre,la sélection de Chantillyoffre des films traversés d’escadrons suicide, de retraités à domicile ayant perdu la mémoireoud’auto-immolations de jeunes filles. Théâtre de la cruauté contemporaine, ce cinéma n’ignore rien des aspérités du réel, dans lesquelles il puise les forces de son intense poésie. Demeurant à la limite de la vie qui chancelle. « J’aime la verticale qui penche, ajoute Jacobée, et le déséquilibre qui apparaît dans sa fragilité ». Fragilité, dureté et verticalité : telle pourrait être aussi la devise du renouveau cinématographique iranien. Prenant le contrepied des Césars compressés qui récompensent le cinéma français, la statuette glorifiant ce jeune cinéma plein de silence et de douleur est faite de vide plus que de plein. Comme s’il fallait combler un manque d’images par d’autres images, toujours à venir. Entre un équilibre et un déséquilibre, une réparation et une séparation, la violence de fer du Jacobéerenvoie à sa douceur de plante, son ossature grise à son éclat de feu. Traversé de ce vent qui nous emportera, le trophée du Festival du Cinéma Iranien paraît avoir été décrit à l’avance par Kiarostami dans l’un de ses poèmes :

« Une étoile filante

Tombe une nuit noire

Dans un étang calme

Bruit de métal brûlant

Dans l’eau »

Abbas Kiarostami, Avec le vent

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